Woodkid ou le génie des nouvelles technologies : retour sur une performance live ayant lieu simultanément en France et en Allemagne


Comme nous le savons tous·tes, les lieux culturels français ont vu leurs portes se fermer, et ce pour une durée encore indéterminée. On a ainsi vu se développer de nombreux dispositifs alternatifs qui, en s’appuyant la plupart du temps sur des formes virtuelles, redéfinissent le champ des possibles en termes de monstration artistique. Les structures culturelles et les artistes ont dû s’adapter à cette situation inédite et inventer de nouvelles manières de donner corps, malgré tout, à ces moments de vie si essentiels. C’est le pari relevé par Yoann Lemoine, dit Woodkid, qui réalise en décembre dernier une performance live de son titre Highway 27 pour le ZDF Magazin Royale en Allemagne. Ne pouvant pas se déplacer sur le plateau, il a réalisé sa performance en live, à Paris, grâce à des techniques de réalité augmentée.


Pour (re)voir la performance en vidéo :


Techniquement, comment c’est possible ?

Ce soir-là Woodkid était donc à Paris, dans un studio, sur fond vert et devant des caméras captant ses mouvements en 360 degrés. Ces images en 4D ont été instantanément transmises aux technicien·ne·s présent·e·s sur le plateau du ZDF Magazin Royale où des spots envoyaient des faisceaux lumineux permettant d’orienter les caméras et de faire les différentes mises au point, de sorte à ce que les choses qui sont filmées au studio soient retransmises comme si elles avaient lieu sur le plateau. 


Mon expérience en tant que spectatrice

Par définition, la réalité augmentée désigne « une interface virtuelle, en 2D ou en 3D, qui vient enrichir la réalité en y superposant des informations complémentaires » (Futura tech). Ici les « informations complémentaires » dont il est question existent pour rendre Woodkid présent sur scène et la réalité a beau être capturée en direct, le chanteur et les musicien.ne.s ne se voient pas entre eux/elles. Il y a une distance que le spectateur ou la spectatrice ne perçoit pas et qui est selon moi problématique car elle efface la dimension sensible et humaine d’une performance musicale. 


Tout apparaît normalement ou presque pour le public mais sur scène (dans le studio et sur le plateau), il n’y a ni chaleur humaine, ni émulation entre le chanteur et les musicien·ne·s, qui ne peuvent alors pas partager l’excitation ou le trac de monter sur scène. Woodkid chante et un moment unique se crée car il s’agit d’une performance live mais cela reste un moment qui a dû être préparé en amont par les technicien·ne·s et qui laisse peu de place à l’aléatoire. Ici la technique est ce qui ouvre le champ des possibles mais c’est aussi ce qui contraint la création, et dans un certain sens la réception. 

         Crédits : Twitter @Ossbesity
Crédits : Twitter @Woodkid

Rien n’est laissé au hasard, tout est calculé et programmé pour que le public y « croit ». Lorsque l’on assiste à un concert, une forme de confiance réciproque naît entre les personnes présentes sur scène et le public qui se rend disponible à recevoir la proposition des artistes. Je trouve qu’il est très compliqué de comprendre comment fonctionne ce dispositif technique et je me demande : peut-on avoir confiance en un dispositif que l’on ne connaît pas ou mal ? En plus de cela, lorsque je regarde la vidéo en sachant qu’il s’agit d’un hologramme quelque chose me repousse. 


Cf. la théorie de la « vallée de l’étrange ». Théorie développée par Mori Masahiro dans les années 1970 qui consiste à affirmer que plus un robot ressemble à un humain plus ses imperfections paraissent monstrueuses pour celle/celui qui le regarde. 


Je trouve tout de même des aspects positifs à cette performance, notamment le fait d’utiliser ces technologies qui est un choix totalement cohérent avec l’univers musical et visuel de Woodkid. Il interprète un morceau de son dernier album, S16, qui évoque entre autres le monde industriel. Il nous a également habitué·e à des mises en scènes audacieuses, qu’il pense pour d’autres artistes ou pour ses propres spectacles. C’est le cas de son interprétation de Run Boy Run en 2014 sur le plateau du Grand Journal, une performance qui lui a permis de tester d’expérimenter la 4D et d’en exploiter ses limites, en créant par exemple des effets glitch. Woodkid est un artiste virtuose qui conçoit ses projets dans leur intégralité (musique, direction artistique, mise en scène…) et qui sait s’emparer des codes visuels pour exprimer les éléments de son univers musical. 


Cf. l’essai vidéo « Vulfpeck, ou filmer sa musique » réalisé par Alphi. Voir comment l’image produite par les artistes eux/elles-mêmes pour parler de leur travail peut orienter notre perception d’une création musicale.

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Pour voir le making-of du live : https://www.youtube.com/watch?v=_JCMzhpglgM


Crédits image de bannière : Twitter @Woodkid