Les revues du monde, DirtyBiology : une jeune génération de vulgarisateurs réinventent le métier grâce à Youtube
Youtube c’est 1.5 milliard d’heures de visionnage par jour dans le monde et plus de 2 milliards d’utilisateurs connectés chaque mois en 2020. Un espace à investir pour la culture qui peut s’y réinventer grâce à l’existence de vidéastes aux profils polyvalents et créatifs. Scientifiques, chercheurs, vulgarisateurs, ils partagent leurs passions par le biais de vidéos à la fois accessibles, drôles, et d’une très belle qualité visuelle. Aujourd’hui, je vous propose un zoom sur deux de ces créateurs de contenus.
L’une est une femme, vulgarisatrice spécialisée en Histoire et en Archéologie, et l’autre est un biologiste qui partage ses recherches et sa passion sur Youtube. Charlie Danger et Léo Grasset sont des vidéastes indépendants se servant de Youtube comme opportunité pour exercer leur métier et partager leurs connaissances. Ils donnent un œil nouveau et modernisent l’image que l’on se fait de la vulgarisation des sciences.
Charlie Danger, à la découverte de l’Histoire et de l’archéologie
Charlie Danger est une vulgarisatrice qui a décidé de se servir de Youtube pour exercer son métier. Elle est d’ailleurs invitée en 2018 sur la chaîne du Musée de Louvre pour parler des mythes égyptiens de la collection. Sa chaine Youtube Les Revues du monde comptabilise 750 000 d’abonnés. Ses vidéos portent sur des sujets spécifiques, souvent sous forme de questions. Elle déconstruit aussi des idées reçues sur l’histoire. Le contenu est instructif et les sources scientifiques sont citées en résumé de vidéo pour inciter le visionneur, si il le souhaite, à aller plus loin dans la compréhension des sujets.
Charlie Danger a beaucoup de problèmes face à la démonétisation de Youtube autour de thèmes que l’algorithme considère comme « inappropriés » comme sa vidéo sur l’avortement dans l’histoire. Son travail est majoritairement financé grâce au système de publicités et de vues de la plateforme mais également par les dons des abonnés via Tipeee.
Son contenu est très riche et intéressant. Elle arrive à le rendre aisément accessible, mais elle reste dans la vulgarisation scientifique pure et dure. Cependant, la présence d’humour et le montage rendent le contenu plus attractif. Sur Instagram, Charlie prend une position plus militante sur certains sujets et partage certaines enquêtes, comme la perception de la beauté chez la femme par les hommes. Elle incite à prendre conscience de normes préconstruites qui tirent souvent leurs sources de traditions et de représentations ancestrales. Une créatrice intéressante et engagée à suivre à la fois sur Youtube et sur Instagram.
DirtyBiology, entre vulgarisation et médiation scientifique … mais pas que !
Léo Grasset est un biologiste français qui tient la chaine DirtyBiology. Cette chaine marche plutôt bien puisqu’elle comptabilise plus d’1 million d’abonnés. Il y parle essentiellement de biologie, mais son contenu se diversifie de plus en plus. Aux sciences dites « dures », il associe souvent un peu de philosophie et de sciences sociales, d’histoire ou de géographie, le tout avec de l’humour ponctué par des montages extrêmement travaillés.
Il réalise deux types de contenus et produit des documentaires pour lesquels il part dans des pays spécifiques. Ces documentaires sont là pour questionner ; leurs contenus donnent une vraie matière à réflexion, comme son épisode tourné à Afghanistan autour de l’empathie. Ces tournages prennent du temps (1 mois) et ne font pas beaucoup de vues. Mais il propose également des formats plus divertissants et plus légers à grands coups de références, d’humour, de montages colorés et dynamités, pour lesquels les vues explosent. Il arrive à rendre des termes et des idées très pointues aisément compréhensibles.
Dans ces deux formats, celui qui regarde est toujours emmené à réfléchir, voir à agir. C’est en ce sens que ce travail se rapproche le plus de celui de médiateur. Avec DirtyBiology, on apprend ; mais Léo Grasset nous emmène également à avoir un regard critique sur des phénomènes sociétaux.
Youtube, un univers en mutation
Léo Grasset constate que l’univers des chaines de vulgarisation sur Youtube se cristallise de plus en plus et se divise ; entre les chaines qui comptabilisent beaucoup d’abonnés (1 million) et les chaines qui stagnent autour des 100 000. Le concept de vulgarisation sur Youtube n’est plus nouveau et il est difficile de se faire une place parmi d’autres chaines. Comment emmener une personne à quitter sa vidéo de musique ou son tutoriel pour l’emmener à s’intéresser à une vidéo de vulgarisation ?
Certains contenus s’essoufflent et Youtube met en avant de grands médias et des contenus bien produits plutôt que des créateurs indépendants. Face à cela, beaucoup de créateurs indépendants qui en ont les moyens se professionnalisent. Ils font appel à des métiers spécialisés pour déléguer leurs montages par exemple afin de rendre le contenu bien plus professionnel. Ainsi, Léo Grasset et Charlie Danger travaillent en collaboration avec différentes personnes que ce soit pour les montages (effets sonores, graphismes) ou pour certaines recherches. Ces personnes sont constamment citées dans la vidéo ou en résumé de vidéo.
Certains créateurs sur Youtube décident même de se réunir autour d’une même chaine pour former des coalitions avec des bureaux dédiés. Youtube semble prendre de plus en plus la forme d’un vrai média et sortir de son caractère immatériel. C’est le cas pour Léo Grasset qui, en 2019, lance sa chaine Vortex , co-produite par Arte, le CNRS et Dailymotion. Il s’agit d’une association entre plusieurs vulgarisateurs qui diffusent des informations sur des thèmes riches et variés. Léo Grasset anime également une émission sur Science et Vie TV, ce qui témoigne de son professionnalisme.
Une affaire à suivre
Ces créateurs nous donnent l’opportunité d’envisager la culture et la vulgarisation scientifique autrement. Par leurs idées, ils renouvellent un paysage et une représentation souvent vieillie et ennuyeuse du métier. Cela constitue une excellente initiative, une opportunité de s’instruire autrement et d’exercer un esprit critique sur notre société. Tous deux légitimés par des instances culturelles (le Louvre, Science et Vie TV…), je ne peux que vous les conseiller. Je suis leurs travaux depuis 3 ans et j’ai eu l’opportunité de les voir évoluer qualitativement. Pensez à eux la prochaine fois que vous naviguerez sur Youtube !