La vie des livres sous le silence
Librairie L’Ouï-lire
Mercredi 15 Janvier, au cœur de Toulouse, la place de capitole, nous sillonnons des rues. Nous prenons la rue Léon Gambetta qui mène à la célèbre librairie toulousaine, Ombres Blanches. Dans la même rue, nous passons et nous apercevons une bâtisse en briques rouges avec un panneau en forme de nuage entre le bar « à l’impro » et une petite chapelle, cette enseigne indique librairie L’Ouï-lire. On rentre dans cette boutique dans un autre monde de gesticulation.
Qui es-tu Mme librairie ?
Une histoire de deux amies, femmes, mères, citoyennes sourdes, qui dirigent cette boutique depuis plus d’un an, racontée un soir au club de lecture entre les Sourds. Delphine Agnesina a l’idée de créer une librairie qui consacre le monde de la culture sourde mais elle se passionne pour la littérature jeunesse. Elle propose une collaboration à une amie, Nathalie Sécolier, qui est férue de livres et a un diplôme de bibliothécaire. La librairie est née au mois estival d’août 2018, elle se divise en deux parties, l’une pour la jeunesse dont un des rayons est consacré aux DYS et l’autre sur le monde de la culture sourde et la langue des Signes (L.S). Ce coin-là ressemble plus à un centre de ressources sur la culture générale des Sourds et de la L.S afin d’obtenir librement des informations et des connaissances avec des conseils professionnels pour l’ignorant non sourd.
Les deux femmes ne font pas que de la vente, elles organisent des évènements bilingues
Dans la boutique
Il y a bien deux zones, l’une pour la littérature jeunesse et l’autre pour la culture sourde. Dans le rayon jeunesse, les tranches d’âge vont de bébé à l’adolescence mais il y a d’autres livres spécifiques comme ceux réservés aux DYS pour une bonne lecture, ainsi que quelques livres en braille. Cela fait plus de choix pour les enfants qui ont des difficultés à lire. C’est mieux que d’aller au magasin non-spécialiste comme la FNAC qui a trop de livres et où il est impossible de trouver ou demander des conseils ; y dénicher un livre est quasiment impossible. À L’Ouï-lire, les deux libraires sont là pour apporter des conseils. Mais ce n’est pas tout, il y a le deuxième rayon sur la culture sourde. Le choix est très large : livres avec thèmes de recherches, DVD, contes, romans, livres sans parole, BD, etc. Ces ouvrages traitent des Sourds ou de la langue des signes. Les auteurs sourds ont enfin leurs livres, c’est une clé sur leur monde.
Les deux femmes ne font pas que de la vente, elles organisent des évènements bilingues, ce qui veut dire que l’animation signée est traduite par un interprète. Ces évènements apportent une sensibilisation à la LSF, notamment avec les contes bilingues, les dédicaces des auteurs, les tables rondes, ainsi que les petites conférences qui suivent.
Interview
Pourquoi avez-vous créé cette librairie ?
D.A : En fait, l’idée vient de moi. J’étais en reconversion professionnelle, j’avais envie de changer de métier. Je cherchais quel nouveau métier je voulais. Je m’intéressais plus au monde de la lecture jeunesse, je suis moi-même parent. Je me suis immergé par des différents livres, je souhaitais trouver une activité en rapport avec les livres. J’en ai discuté avec mon conjoint et il m’a dit que ce serait une bonne idée de créer une librairie, avec un secteur dédié au monde des Sourds et à la Langue des Signes. J’ai pensé « pourquoi pas créer quelque chose avec les livres, une librairie par exemple… ». Une librairie serait tournée vers le monde des Sourds et de la Langue des Signes. J’ai remarqué qu’en France, c’était compliqué pour commander des ouvrages parce qu’il fallait passer par différentes maisons d’édition comme éditions Monica Companys ou l’IVT. Alors qu’il serait possible de rassembler en un endroit qui propose tout. En France, sur le marché du travail, personne ne s’était encore saisi de cette opportunité en créant une librairie spécifique. Je me suis donc dit que l’idée pourrait être intéressante et j’ai alors pensé de suite à proposer à Nathalie de m’accompagner. En effet, elle a suivi une formation de bibliothécaire. Déjà elle est férue de livres et à ce moment-là, elle ne travaillait pas. Elle était partante et c’est là que le projet a commencé.
Est-ce que c’est en rapport avec l’inclusion du handicap afin de montrer que vous pouvez surmonter les obstacles ?
N.S : Vraiment, je ne me considère pas handicapée. Bien sûr, ce statut a été avantageux pour obtenir des soutiens financiers pour la création de la librairie en plus des aides classiques accessibles dans le domaine de la culture. Quant au reste, nous nous sentons sur un pied d’égalité comparé aux autres magasins de Toulouse, nous avons suivi des cursus similaires de vente.
Quelle est votre observation face aux clients entendants ? sourds ?
D.A : Depuis la création, nous sommes très satisfaites ! Pour les clients sourds, ils viennent avec la joie d’avoir une communication aisée en Langue des Signes, leur langue maternelle. On peut échanger facilement, partager des informations, des conseils…C’est important car beaucoup de Sourds ne savent pas bien lire ou n’apprécient pas la lecture. Du fait de l’éducation scolaire, personne ne leur a transmis la passion de la lecture. C’est pour ça ! Mais je constate que la situation commence à évoluer. C’est un début ! Ensuite, beaucoup de personnes à travers la France font volontairement le déplacement jusqu’à nous. Ça leur fait plaisir de trouver des ouvrages rares et inexistants. Troisièmement, pour le public entendant, certaines personnes savent qu’il y a une librairie spécialisée, ici, en suivant notre page Facebook ou l’apprennent par le bouche-à-oreille. Parfois ils viennent sur place à la dernière minute sans réfléchir par curiosité en entrant et constatent qu’il s’agit d’un libraire « pour les Sourds » du fait de notre collection de livres sur la langue des signes. Finalement, j’ai remarqué depuis l’ouverture que nous arrivons à faire passer le maximum d’informations et cela sans problème de communication particulier. Tout va bien ! Apparemment, dans cette ville, les toulousains sont ouverts d’esprit. Cependant, ça arrive qu’une ou deux personnes qui ne sentent pas à l’aise ressortent très rapidement. Mais bon, C’est rien, ce n’est pas grave !
N.S : oui, c’est trèspeu !
C’est une première en France, une ouverture du monde de la culture
Médiation
C’est une première en France, une ouverture du monde de la culture. On dépasse enfin l’impossibilité de trouver des conseils sur des livres ou des ouvrages de la culture sourde, ainsi que des auteurs ou futurs auteurs sourds. C’est un modèle pour les futurs sourds, un vrai réfèrent pour le public non-sourd. C’est enfin au public entendant de faire des efforts, c’est à lui de s’intégrer dans le monde des Sourds, dans ce lieu de travail, au milieu de la ville, dans les rues qu’on arpente, entouré de magasins, hors du monde des sons et de la parole.
J’aime que l’organisation de leurs évènements soit bilingue. Elles ont pensé au public entendant. C’est une habitude plus naturelle de partager à deux. Cela permet de mieux donner conscience et de faire découvrir des envies. Je vous conseille de venir, de passer une fois ou plusieurs fois dans cette boutique, de demander des conseils soit sur les livres, soit sur l’apprentissage de la Langue des Signes ou bien encore d’assister à l’un des évènements bilingues.