La Revue des Spectateurs Art&Com

Médiations et publics | n°3 – Edition 2021-2022

SpectacleThéatre

Antoine et Cléopâtre, mise en scène de Célie Pauthe au Théâtre de la Cité

Article rédigé par Alexis Laclau et Johanna Jourdain

Célie Pauthe et l’amour au fil de l’épée

Célie Pauthe, directrice du Centre dramatique national Besançon Franche-Comté, a livré au Théâtre de la Cité sa mise en scène d’une tragédie shakespearienne aussi tardive que nuancée si l’on observe l’œuvre du dramaturge dans son ensemble.

La metteuse en scène n’en est pas à son coup d’essai concernant les tragédies qui prennent pour décor une Rome antique au bord du gouffre politiquement, dont les aléas amoureux de ses élites n’apaisent en rien les glaives conspirateurs déjà sortis du fourreau. Elle signait en effet en 2018 sa mise en scène de Bérénice de Jean Racine, après avoir été inspirée par un court-métrage de Marguerite Duras. Et comme on ne change pas un couple qui règne, Mounir Margoum troque la tunique de Titus pour celle de Marc-Antoine, tandis que Mélodie Richard, naguère protectrice de Judée, se voit parée du prestige des derniers Ptolémées.

Mélodie Richard ici en Cléopâtre VII. A noter que le rôle était interprété par Déa Liane lors des représentations au Théâtre de la Cité.
« Elle fit d’Antoine l’ennemi de sa patrie par la corruption de ses charmes amoureux »

Antoine et Cléopâtre en bref

La tragédie Shakespearienne, Antoine et Cléopâtre, se passe après la mort de Jules César. Marc-Antoine a hérité d’une partie du monde dont l’Egypte, et est tombé sous le charme de Cléopâtre. Rattrapé par ses devoirs et des menaces d’Octave César, il rentre à Rome et se mari avec Octavie, la sœur d’Octave afin d’apaiser les tensions. Cléopâtre est furieuse et tente de regagner son amour. Octave déclenche alors une guerre contre l’Egypte.

Extrait
Cléopâtre
Si c’est vraiment de l’amour, dis moi : combien ?
Antoine
Misérable l’amour qui peut être compté.
Cléopâtre
A moi de fixer la borne jusqu’où être aimée.
Antoine
Alors tu devras trouver un nouveau ciel et une nouvelle terre

Scène 1, Acte 1

L’amour ou l’empire

Entre Antoine et Cléopâtre, c’est un feu de joie qui brûle. Un amour adolescent qui vient attendrir les traits des deux figures les plus puissantes du monde connu d’alors. Si cette passion déraisonnée, accentuée par la mise en scène et une liberté prise dans la réécriture de quelques répliques, n’échappera pas à l’œil du spectateur, c’est au regard du jeune et ambitieux Octave qu’elle prendra tout son sens tragique. Là où Antoine se repose sur son image de conquérant illustre qui aurait bien mérité un peu de répit dans les bras de la femme la plus convoitée du monde, le futur Auguste n’entend rien d’autre que les chants et les rires d’un vieil ivrogne dépourvu d’ambition.

Le titre de la pièce nous fait implicitement penser qu’elle tourne seulement autour de deux personnages. Mais comme souvent dans les tragédies, c’est la trinité qui règne. Une trinité sempiternelle dont les échos remontent à plusieurs siècles avant l’action.

Des trois dynasties diadoques qui se disputèrent les territoires d’Alexandre le Grand, dont Cléopâtre est issue puisque digne héritière de la dynastie des Lagides ; en passant par le triumvirat dont César sortira grand vainqueur devant Crassus et Pompée ; et finalement une guerre fratricide au départ froide, entre Cléopâtre, Antoine et Octave. Car Antoine et Cléopâtre, c’est avant tout Antoine et Octave. Deux visions du monde qui viennent germer sur les terres encore fertiles du sang des barbares de l’empire d’Alexandre. La diligence et la droiture d’un jeune politicien qui a tout à prouver, viennent se heurter à la désinvolture et la nonchalance d’un homme qui a tout conquis : le cœur du monde et celui de la plus belle femme d’Orient. L’adage « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » se renverse. Shakespeare laisse ici le soin au spectateur de choisir sa propre raison, sans jamais vraiment porter de jugement sur la conduite la plus vertueuse, si ce n’est dans l’issue. Ecouterons nous le cœur qui bat pour Cléopâtre, ou le pragmatisme qui fera naître l’empire romain ?

Quand Octave devient Auguste.
« Disparaître, c’est faire savoir au monde qu’il ne vaut pas un adieu. »

Coffret scénographique enchanté

Les décors sont fabuleux. Célie Pauthe, avec l’aide du scénographe Guillaume Delaveau, parle de crépuscule des dieux. Il est une parfaite illustration du monde de chaos, de lyrisme, de passion, d’érotisme dans lequel évolue les personnages.
Durant la première partie nous sommes dans un palais égyptien dans une ambiance calfeutrée. Les murs sont bleus et dorés. Des coussins sont posés par terre. Une bougie est allumée au fond. En quelques manoeuvres, comme par magie, on se retrouve dans un couloir du sénat romain désabusés par une lumière blanche et froide.
Pour la deuxième partie nous découvrons nos personnages dans le désert de Lybie. Le sol est recouvert de sable rouge, cela forme même une dune à l’extrémité droite de la scène. Un bloc représente le tombeau de Cléopâtre. Les lumières composent la lune. 

Célie Pathe, en accord avec la nouvelle traduction d’Irène Bonnaud, fait le choix de costumes contemporains. Certains hommes portent des pantalons treillis militaires, ce sont les hommes d’Antoine. Octave et ses hommes sont habillés en complet veston-cravate. Ils représentent l’ordre, la mesure et la stabilité : il ont pour but de maintenir Rome comme seul centre du pouvoir et de l’empire.

Dans cette pièce, Shakespeare déconstruit les images genrées du pouvoir. Les genres sont mélangés : le masculin circule dans le féminin et inversement. Les hommes se dévêtissent, se travestissent. Maud Gripon est à la fois Octavie et un soldat du camp d’Antoine et l’actrice Bénédicte Villain joue l’eunuque mardian.

De magnifiques chansons de Mohamed Abdel Wahabce, superbement interprétées, et des poèmes de Constantin Cavafis à l’image de ce rêve alexandrin entrecoupent parfois la pièce et permettent de reposer des mots de Shakespeare qui peuvent contenir beaucoup de fureur.

Une pièce, aux décors superbement conçus, à la mise en scène sobre mais efficace, certes un peu longue pour une grande partie des publics. Mais dont le rythme et surtout l’interprétation brillante des acteurs sauront capter l’attention de quiconque a déjà aimé. Découverte de la grande histoire d’amour d’Antoine et Cléopâtre dans le sublime théâtre toulousain. Pour Célie Pauthe, l’Orient n’est pas un endroit où l’amour vient faner à l’ombre d’un palais, mais bien y brûler sur les lèvres de ceux qui règnent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *