La Revue des Spectateurs Art&Com

Médiations et publics | n°3 – Edition 2021-2022

Photographie

Nicholas Nixon au Château d’Eau !

Nous sommes allées visiter l’exposition “Une infime distance” de Nicholas Nixon qui se déroulait du 3 novembre au 16 janvier 2022 dans la galerie du château d’Eau, première galerie publique en France en grande partie réservée à la photographie. Nous avons pu également voir les expositions « Au grand air » de Victorine Alisse et J.S.Saia,  “Le jour où je suis arrivée en France” de Sinawi Medine et Thomas Morel-Fort et “Donna, une vie de sacrifices Philippine”

Une exposition principale: Nixon, « Une infime distance »

C’est la première exposition majeure en France de ce photographe. Il a exposé au MoMA de New York, dans des institutions européennes à Berlin, Bruxelles, Madrid et Barcelone. Il est l’une des références de la photographie documentaire américaine. Ses photographies sont souvent en noir et blanc, il utilise le procédé du “close up”, le cadrage en plan très rapproché, qui exige une certaine proximité et complicité entre photographe et photographié. Il utilise la chambre grand format, appareil à prise de vue unique et le tirage par contact qu’il réalise lui-même. Il a photographié des malades, des couples mixtes, des nus, des personnes âgées, des autoportraits, des voilages et des détails de son environnement (fleurs, arbres). 

La série des “Brown Sisters”, se situe dans la grande galerie. Nicholas Nixon photographie depuis 46 ans le portrait de son épouse surnommée Bebe et des ses trois sœurs. C’est un véritable rituel photographique qui sensibilise sur la question de la vieillesse, de la mode au fil des années, de la famille et de la fratrie. On peut deviner les liens qui se créent entre les sœurs et leur complicité dans chaque cliché. Cette série, réalisée de 1975 à 2020, est exposée sur les murs du château d’Eau dans l’ordre chronologique. Les photographies sont disposées les unes après les autres. Ce mouvement et cet espace circulaire créent un effet de spirale et accentuent la thématique du temps qui passe. Au sous-sol, dans la partie de la machinerie et des conduites originelles, d’autres photographies de Nicholas Nixon sont exposées, tel que des nus, des couples mixtes, des paysages urbains…

Trois autres expositions

Les trois autres expositions “Au grand air” de Victorine Alisse et J.S.Saia,  “Le jour où je suis arrivée en France” de Sinawi Medine et Thomas Morel-Fort et “Donna, une vie de sacrifices Philippine” se situent dans la seconde galerie, sous les arches du Pont neuf et d’une des anciennes rampes d’accès au pont. 

“Au grand air” est une série de photographies de parcs et de bois à Paris où est inscrit à la main, en dessous de chaque cliché, une phrase. Les artistes ont souhaité éviter les préjugés du monde de la rue, et plutôt se concentrer sur l’aspect poétique de ce mode de vie, notamment grâce au rapport dialogique entre l’image et l’écriture. 

Les dernières expositions prenaient la forme de diaporamas photos. “Le jour où je suis arrivée en France” sont des photographies témoignant des dangers des parcours migratoires, de l’exil, dans des zones barrières notamment à la frontière franco-italienne. 

“Donna, une vie de sacrifices Philippine” est une série réalisée en France et aux Philippines sur l’exil des femmes des pays en développement pour travailler pour des familles riches dans les pays riches. Le photographe Thomas Morel-Fort s’est immiscé dans le quotidien de Donna pour mieux comprendre sa vie  et être au plus proche de la réalité. Ce sont un peu comme des reportages photos.

Le lieu comporte également une bibliothèque avec des ouvrages spécialisés dans la photographie, des livres rares et des magazines nationaux et internationaux. Cette seconde galerie a pour but de faire découvrir des artistes émergents et des expositions en écho à la principale. Une boutique est également présente. 

Une médiation peu présente et informative

Concernant la médiation, celle-ci était peu présente. Elle avait lieu par des textes informatifs qui précédaient l’exposition et donnaient au public des éléments biographiques sur les photographes et des explications sur leur travail. Chaque série de photographies était présentée par un texte explicatif sur le mur.  

Il y avait également des vidéos explicatives pouvant tenir lieu de médiation. La première vidéo était un court reportage sur le travail photographique de Nicholas Nixon, dans lequel ce dernier expliquait le processus utilisé pour réaliser ses clichés ainsi que la relation qu’il avait avec ses sujets photographiés. Il revient aussi sur ses inspirations et les messages qu’il a souhaité transmettre à travers cette production.

D’autres vidéos étaient présentes dans la deuxième galerie dans l’exposition  “Le jour où je suis arrivée en France” de Sinawi Medine et Thomas Morel-Fort. Celles-ci présentaient les photos des artistes et en arrière-fond la voix des photographes qui s’expriment sur leur travail, leurs motivations, le sens de leur exposition…

Pour compléter cela, deux papiers explicatifs étaient remis aux visiteurs concernant les photographes et leur(s) exposition(s).

Les adultes constituent le public visé par les expositions car les photographies présentées usent de thématiques fortes telles que la maladie, la migration, les pertes qu’elles peuvent impliquer etc., et pourraient d’autant plus heurter un jeune public non averti.

Une exposition principale percutante, qui lève des tabous sociétaux

Nous avons beaucoup apprécié l’exposition de Nixon, notamment la série des “ Brown Sisters”. Nous nous sommes amusées à comparer les différentes tenues en fonction des époques, nous avons chacune élue notre portrait préféré. Voir le processus de la vieillesse immortalisé donne une sensation de vertige et une certaine urgence de vivre pleinement notre jeunesse. Cela crée également un certain choc de voir les corps au fil des ans prendre un aspect différent : l’apparition des premières rides, les postures un peu plus avachies, la peau qui se relâche… Mais cela permet de dédramatiser et de normaliser ce processus, voire l’embellir. C’est un bel hommage au temps qui passe ! Pour la suite de l’exposition de Nixon, nous avons là aussi été piquées d’un vif intérêt pour ces photographies, tant pour leur réalisme, que leur beauté. C’est un regard singulier, celui de Nixon, que nous avons découvert et il nous a plu !

Critique personnelle

Concernant l’exposition « Au grand air » de  Victorine Alisse et J.S. Saia, j’ai aimé le travail qu’il y avait autour des mots et de la photographie avec l’association de ces deux arts. De plus, les images donnaient un regard nouveau sur Paris, un Paris que l’on ne voit pas à première vue, encore moins lorsqu’on s’y trouve en voyageur de courte durée ! J’ai tout de même moins accroché à cette exposition que celle de Nixon mais elle en a tout de même demeurée intéressante.

Pour les deux vidéos de Sinawi Medine « Le jour où je suis arrivée en France » et Thomas Morel-Fort « Donna, une vie de sacrifices Philippine », cela a plus été pour moi plus de l’ordre du bonus, elles se sont trouvées à la fin de la deuxième exposition, dans une pièce avec un simple fauteuil et surtout… sur des écrans ! Je n’ai pas été immergée comme avec les autres expositions, même si je reconnais bien volontiers que les photographies étaient percutantes comme se veut leur sujet (la migration).

En conclusion, c’est une exposition riche de sujets enfin abordés, la levée de tabous, traités d’une manière singulière et appréciable !

Eva

J’ai apprécié le travail de Nicholas Nixon. J’adore sa technique photographique, cela met en valeur les détails physiques de manière esthétique. Les regards des sujets photographiés et les nus sont poignants. Les photographies de détails changent complètement la perception que l’on a du corps humain, et on pourrait s’imaginer qu’il s’agit d’autres choses. Par exemple, le détail d’une barbe peut faire penser à une forêt. C’est une manière d’enlever le tabou du poil en le mettant au premier plan. Malgré la forme fixe de l’image, rien n’est figé, les corps et les regards racontent. De ces photographies émane la vie. 

J’ai adoré l’exposition “Au grand air”. Le lien entre phrase et image était très pertinent. Les mots apportent quelque chose en plus à l’image et celle-ci nourrit bien la phrase, ils sont interdépendants. C’est une belle manière de parler d’un mode de vie différent, celui de la rue. Il ressortait une certaine rage et poésie de cette exposition.

J’ai très peu accroché aux deux dernières expositions, qui pourtant sur le papier paraissaient intéressantes. De mon point de vue, le dispositif ne les mettait pas en valeur. Les photographies étaient diffusées sur plusieurs écrans télé et défilaient les unes à la suite des autres. Cela m’a frustrée car on ne pouvait pas regarder les images comme on le souhaitait, il y avait un temps imparti pour le défilement de chaque photographie. 

Les deux expositions se situaient dans un même espace dans la seconde galerie, juste avant la bibliothèque et après l’exposition “Au grand air” (exposition qui prenait une place plus importante, dans un couloir assez large). On avait l’impression que le but était de rentrer le plus d’expositions possibles dans un espace restreint. Cela donnait l’impression d’une micro salle de projection improvisée, sans sièges. 

Les deux expositions côte à côte, sur un même dispositif (une télé), donnaient l’impression qu’il s’agissait d’une seule et même exposition. Or, certes, elles ont pour thème commun l’exil, cependant j’aurai aimé qu’une plus grande distinction visuelle soit faite. 

Maëllys

Maëllys BOCQUENET et Eva CARLICCHI