La Revue des Spectateurs Art&Com

Médiations et publics | n°3 – Edition 2021-2022

Non classéSpectacleThéatre

Au théâtre pour l’apéro

19h – Toulouse un soir de semaine. Entre rue des Potiers et salle de théâtre, le Grand rond joue un Apéro-spectacle, au chapeau. Une façon abordable et réussie pour réduire la distance entre le public et le théâtre.

source : Lucas Lemauff & Nicolas Vezzoni

Du mardi au samedi en fin d’après-midi, il y a la queue sur le trottoir au numéro 23 de la rue des Potiers. Le Théâtre du Grand rond ouvre ses portes pour une petite jauge, sans réservation possible : une quarantaine de personnes assistera au spectacle d’un duo musical et parodique. Ce soir, un mercredi d’hiver, tout le monde est entré.

Ambiance café-théâtre

L’ambiance est chaleureuse. Elle tient au local lui-même, coloré mais sans prétention, agencé tout en longueur, quelques piliers ronds pour soutenir un plafond bas. Il est organisé avec d’un côté la buvette et de l’autre un espace scénique sans estrade où un clavier, une guitare et autres accessoires attendent l’heure dite. Entre les deux, le public, venu pour partager un bon moment. La convivialité est un autre atout de l’événement. Chacun prend place comme il peut. Les groupes se mélangent autour de petites tables, sur des bancs en bois, des chaises de toutes tailles, canapé, pot de fleur retourné, mur en guise de dossier… à la bonne franquette. Derrière le comptoir, les bénévoles s’affairent pour servir des verres à petit prix.

Leçon de médiation culturelle

Le duo Mikael Sten et David Chardon fait son entrée… en sortant par la porte de la salle de spectacle mais pas dans le sens habituel. Les artistes se faufilent entre les spectateurs jusqu’à leurs instruments, à portée de main de son public. La proposition est renouvelée chaque semaine. Aujourd’hui : « Sten & Chardon – Les dossiers de la chanson ». Une proposition décalée de chanson française des années 70-80, allant de Bobby Lapointe à Léo Ferré en passant par Chantal Goya, Patrick Bruel, Joe Dassin, Johny Hallyday, Brassens, etc. Tous les titres sont revisités et décodés, car ces comédiens musiciens parlent de dévoiler « la plus grande manipulation de masse de l’histoire de l’humanité : la variété ».

La palette de chansons sélectionnée est à chaque titre l’objet d’une réinterprétation. Les paroles de Joe Dassin sont servies par la mélodie d’Annie Cordy, les « A que » de Johnny revisitent les rythmes de Cloclo… Effet comique et didactique garanti : par cette expérimentation chacun peut mesurer à quel point une musique fait autant sens que les mots qu’elle accompagne.

Cette fois, ça se passe au pied du tableau de conférence, dossier d’expert en main. De la ville à la scène, qui se cache derrière les noms de Bruel, Halliday, Berger, Goya…? Le public s’amuse et participe. Façon scène de crime et démonstration à l’appui, la page du tableau affiche les coupables démasqués, dont un incroyable portrait de Brassens en Staline ! L’inventivité et la maîtrise autant vocale, instrumentale que d’interprétation captivent et emportent le public, jusqu’à lui faire entonner avec les experts du jour quelques syllabes sans logique sinon jubilatoire. Le spectacle touche à sa fin. En un clin d’œil, l’espace reprend son rôle d’accueil pour la séance théâtrale de 21h, alors que les trainards finissent leurs verres et leurs conversations.

Attirer les publics

Le mode apéro-spectacle peut rebuter ceux qui apprécient leur confort, mais il parvient à attirer un public de 20 à 60 ans, familial ou non et de styles assez variés. Un public qui soutient clairement la proposition puisqu’elle dépendante de sa satisfaction : rémunération au chapeau. Elle concourt aussi à faire se croiser les publics de l’apéro et ceux du théâtre proprement dit. On peut imaginer que les programmes à disposition sur les tables peuvent inciter à franchir le pas pour certains. C’est aussi la possibilité de découvrir cette salle théâtre et son concept particulier. Elle développe une démarche participative sous un statut de SPIC (Société coopérative d’intérêt collectif) au sein de laquelle salariés, bénévoles, usagers, collectivités publiques, entreprises, associations ou particuliers, etc., peuvent s’impliquer. Elle assume aussi des choix engagés, par exemple pour la culture sourde.