Entre les lignes d’« A la ligne », un roman de Joseph Ponthus
On sépare souvent le monde de la culture et du savoir de celui de l’industrie, du manuel, de l’usine. Et pourtant, il arrive, peut-être bien plus souvent qu’on ne le croit, que ces deux milieux se rencontrent, voire même qu’ils se complètent. C’est ce à quoi en tous cas Joseph Ponthus croit, c’est ce qu’il a vécu et nous raconte dans son premier roman : A la ligne – Feuillets d’usine.

De la poésie à l’usine : le journal intime d’un intérimaire
L’unique roman de Joseph Ponthus, édité à La Table Ronde et paru en 2019 nous plonge dans l’enfer du travail à la chaîne. L’auteur y raconte son expérience d’ouvrier intérimaire dans une conserverie de poissons puis dans un abattoir. Ancien étudiant en lettres en Hypokhâgne puis Khâgne, devenu éducateur spécialisé, Joseph Ponthus atterrit paradoxalement par amour dans la chaîne infernale de l’usine… Suivant sa compagne dans la belle région bretonne, il ne parvient pas à trouver de poste dans le milieu social et se tourne donc par dépit vers une agence d’intérim. Joseph Ponthus embauche dès lors jour après jour dans les usines de poissons et les abattoirs bretons.
L’histoire se déroule dans un décor nocturne, industriel, marqué par le bruit des machines, par l’odeur de la mort, celle des poissons, des vaches, mais aussi marqué par la solidarité ouvrière, par des petits chefs, des difficultés physiques… Et au milieu de tout ça, ce sont aussi des moments d’humour, d’amour, des chansons, des souvenirs de livres et de grands auteurs qui parsèment cette aventure ouvrière. Entre deux découpes de queues de vaches, ou entre deux bulots se glissent des citations d’Apollinaire, de Cendrars, de Dumas, de Céline et tant d’autres. Pour l’auteur, il lui fallait trouver à quoi se raccrocher : et ce fût la littérature. C’est à chaque fin de service, enfin rentré chez lui, que l’auteur se met à écrire ces lignes. Il écrit pour se souvenir mais surtout écrit pour tenir. Tout comme suivre les aventures d’un héros littéraire peut faire s’évader, pour Joseph Ponthus, être « Le héros de [son] propre livre » lui permet de se faire vivre ailleurs. Voici ce qu’il dit :
« Au fil des heures et des jours le besoin d’écrire s’incruste tenace comme une arête dans la gorge
A la ligne, Joseph Ponthus
Non le glauque de l’usine
Mais sa paradoxale beauté »
Un quotidien terrible donc accompagné de références littéraires poétiques, des traits d’humour, des touches de légèreté. Si le héros est à la recherche de micro-passerelles de beauté pour tenir, c’est aussi pour l’auteur une façon d’anoblir le travail effectué par ces intérimaires et leur dire qu’il y a encore du beau, de la lumière dans toute cette noirceur.
Un roman singulier et spontané
A la question pourquoi lire ce roman je répondrais simplement que c’est un livre qui ne ressemble à aucun autre : tant par la forme que par le fond. Il est écrit à la manière d’un long poème en prose, sans ponctuation, retournant sans cesse à la ligne. Ces retours à la ligne, c’est le rythme de l’usine. Ils traduisent le flot de pensées de Joseph Ponthus dans cette cadence folle que lui impose ce travail « à la ligne ».
Le titre du livre est à prendre en fait à double sens. Le travail « à la ligne », c’est le nouveau terme qui remplace et euphémisme le « travail à la chaîne ». Terme qui fait bien sourire l’auteur, parce qu’il n’atténue en rien les conditions de travail des ouvriers. Alors oui ce n’est pas l’usine du XXe siècle, l’usine de Zola et pourtant le récit ne s’en éloigne pas tant. On y retrouve autant de trivialité, autant de colère, autant de fatigue… Cela dit le témoignage dont nous fait part l’auteur est loin d’être misérable, il est plutôt digne, battant, et optimiste. C’est un livre qui ne dénonce pas mais qui raconte. Le roman se présente comme un hommage au monde ouvrier du XXIe siècle. L’écriture y est très spontanée, relève presque de l’oralité. Le roman est très narratif, très imagé. La description des décors, concise mais percutante, est telle que les chapitres se lisent presque comme des tableaux. Même pour celui ou celle qui n’a jamais vécu d’expérience similaire, l’on peut très bien s’imaginer les scènes dépeintes dans ce roman. De ce fait, c’est donc une lecture plutôt facile d’accès, tout le monde peut lire A la ligne, petits comme grands lecteurs. Le roman est unique, son histoire partagée et quand bien même ce n’est pas le cas, je vous invite à la découvrir !