La Revue des Spectateurs Art&Com

Médiations et publics | n°3 – Edition 2021-2022

Photographie

Un week-end autour de la photographe Vivian Maier : exposition au musée du Luxembourg et conférence avec l’auteure Ann Marks, sa biographe, animée par Lauren Bastide, journaliste.

Self-Portrait, October 18, 1953, New Yotk, NY

La rencontre

Depuis le 15 septembre 2021 et jusqu’au 16 janvier 2022 se tient au Musée du Luxembourg, musée attenant aux jardins du même nom, situé 19 rue de Vaugirard dans le 6e arrondissement de Paris, la très fréquentée exposition Vivian Maier.

Le samedi, à l’entrée, une longue file d’attente longe l’enceinte du bâtiment : « une heure d’attente », nous dit-on. Oui, mais je suis curieuse. Vivian Maier, cela fait quelque temps que je lis ce nom dans des articles accompagnés de son fameux autoportrait. Vivian Maier : une grande artiste méconnue, c’est ce que j’avais retenu.

Alors je patiente et je finis par rentrer.

Et là, enfin, après avoir joué des coudes, et m’être faufilée au-devant d’une visite guidée, je la découvre. La première salle est remplie de ses autoportraits. Dans une vitrine, un miroir ou juste une ombre ou une silhouette, elle apparaît. Munie de son Rolleiflex, tenu au niveau de la poitrine, elle s’est photographiée des centaines de fois.

Un parcours à travers sa vie

J’avance alors et découvre sa vie : une nourrice d’origine française, sans lien familiaux, vivant avec peu d’argent à New York puis à Chicago, passionnée de photographie. Elle est sans conteste l’une des plus grandes photographes du XXe siècle, mais reste inconnu toute sa vie (1926 – 2009).

Elle quadrille l’univers urbain, témoigne des grandes mutations sociales et politiques américaines. Entre la Street Photography et un authentique humanisme, Vivian Maier prend la rue pour théâtre et ses gens pour acteurs. Elle photographie beaucoup les enfants, les ouvriers, les soûlards… Des visages qui parlent de pauvreté, de dur labeur, de triste destin. Des visages auxquels elle semble s’identifier. Parfois, elle vole également le portrait de quelques bourgeoises, et c’est avec amusement que l’on découvre alors des visages outrés, en colère dont elle semble bien loin.

Ses photographies sont très cinétiques. Elle se mettra d’ailleurs plus tard à la vidéo avec sa caméra super 8, filmant de manière frontale ce qui échappe à la vue. Elle a un grand sens de la composition, de la lumière et surtout du mouvement. Elle crée de véritables séquences filmiques.

La découverte de Vivian Maier

Alors qu’elle vit toujours dans l’inconnu et la misère, c’est en 2007 qu’une partie de ses biens est mise aux enchères : elle ne peut plus payer la location du box où elle entasse une grande partie sa vie. John Maloof, jeune agent immobilier, est alors à la recherche de photographies pour illustrer un livre sur un quartier de Chicago. Il achète pour 400 dollars 30 000 négatifs et des dizaines de rouleaux de pellicules. Déçu, ne trouvant pas les photos qu’il cherchait, il place les négatifs au placard. En 2008, il les ressort et commence à les vendre sur eBay. Un professeur d’art lui fait prendre conscience de l’importance de l’œuvre de Vivian Maier et il retrouve alors les autres acheteurs des lots et leur rachète. Il acquiert plus de 100 000 négatifs. Il désire connaître cette mystérieuse photographe, mais ne trouve aucune information. En 2009, il tombe sur son avis de décès paru quelques jours plus tôt.

Vivian Maier a réalisé au cours de sa vie quelques 120 000 photographies, sans avoir pu en voir une bonne partie elle même. Elle les gardait tous, ainsi que des journaux, des factures, des cartes dans des cartons qu’elle baladait de maisons en maisons chez les familles pour lesquelles elle travaillait.

Ann Marks et Vivian Maier

C’est le lendemain soir, au Silencio des près, un cinéma situé aussi dans le 6e arrondissement, que j’assiste à une discussion entre la biographe de Vivian Maier : Ann Marks et la journaliste Lauren Bastid, que j’apprécie beaucoup pour avoir réalisé les podcasts La Poudre et qui interviewe des femmes artistes, militantes, politiques… La rencontre est suivie par la projection du documentaire Finding Vivian Maier, réalisé par John Maloof.

Ann Marks, passionnante, parle de l’enfance de Vivian Maier, ses relations avec sa famille, la violence qui semble parcourir sa généalogie, son engagement politique et féministe… Elle dresse le portrait d’une aventurière qui n’a pas peur de parcourir le monde, seule avec sa caméra, elle évoque ses voyages dans son village en France à côté de Gap et autour du monde. Elle décrit une femme qui change sans cesse de noms sur les registres officiels, comme son frère et sa mère, d’où la difficulté à suivre sa trace. Elle évoque également sa santé mentale et ses troubles bipolaires. Elle fait le portrait d’une femme qui connaît son talent et à conscience de la qualité de ses photos en s’appuyant sur des lettres écrites à des photographes. Elle nous passe des enregistrements audios d’entrevues qu’elle mène avec des inconnus au sujet de l’actualité ou des dernières sorties au cinéma, montrant l’envie presque journalistique de Vivian Maier de documenter le monde dans lequel elle vit.

Le documentaire de John Maloof

C’est sur ce puissant portrait qu’est alors lancé le documentaire réalisé en 2013 par John Maloof et Charlie Siskel, Finding Vivian Maier (à la recherche de Vivian Maier en français). Que de déceptions. Peut-être est-ce intéressant de commencer par là quand on ne connaît rien à la vie de la photographe. C’est franchement dommage d’en finir avec lui. John Maloof, avec un air quelque peu opportuniste, se met en scène comme le divin découvreur de l’artiste. Il interroge les enfants qu’elle a gardés qui, certains, la définissent comme un tyran, les traînants dans la rue, les quartiers malfamés. Il rencontre même un soi-disant chercheur, spécialiste des voyelles dans le français, qui affirme que son accent français serait faux. On se rend malheureusement bien compte que Vivian Maier avait peu d’amis, et que ceux qui se définissent comme tels, l’ont laissée tomber quand elle demandait de l’aide. Il la décrit timide, démodée.

Malgré le talent indéniable qui ressort évidemment dans les photos présentées, le documentaire me semble loin de la photographe. Il a pour moi le seul avantage de faire découvrir les photographies et l’incroyable histoire de l’artiste. 

New York, NY

Beaucoup de photos de Vivian Maier sont sur le site internet crée par John Maloof http://www.vivianmaier.com/