Mission Carcas : une aventure (pas si) palpitante ?

Depuis le 19 janvier 2021, les archives départementales de l’Aude proposent, dans leur ressources Archives buissonnières, une mission à destination de tous : la Mission Carcas. Dame Carcas est un personnage de légende célèbre à Carcassonne. Il s’agirait d’une souveraine qui, par sa bravoure face à Charlemagne, aurait donné son nom à la ville.

Un prétexte pour apprendre

Extrait de la vidéo tutorielle de l’écriture avec un calame

Cette mission, donnée par Dame Carcas en personne à l’internaute, est en réalité un prétexte pour faire découvrir les méthodes d’écritures épistolaires de l’époque. A travers plusieurs tutoriels, on nous explique comment fabriquer de l’encre à base d’ingrédients naturels, un calame (outils d’écriture d’époque), et un cachet de lettre. D’autres tutoriels nous montrent encore les bases de l’utilisation d’un calame, l’alphabet gothique, et des techniques pour donner à du papier un aspect vieilli.

Afin qu’un maximum de jeunes puissent réaliser cette mission, divers ingrédients peuvent être utilisés pour chaque réalisation, comme de la gouache ou de la pâte à modeler. Ici, l’important n’est pas tant les matières utilisées à l’époque, mais leur forme et leurs utilisations. Ainsi, cela peut donner lieu à des questions sur l’évolution de l’écriture.

Si l’aventure dit s’adresser à tous, il est clair qu’elle a surtout été conçue à visée pédagogique, donc à destination d’un public jeune. De plus, il est précisé sur la présentation des Archives buissonnières, que celles-ci concentrent des documents et des activités qui peuvent s’utiliser dans le cadre scolaire. Cette activité est donc surtout à destination de ce public, ainsi que le rappelle l’introduction d’une des vidéos tutorielle : « vous devez montrer aux élèves… ».

Une forme trop ennuyeuse

Si ces tutoriels sont plutôt intéressants dans le fond et peuvent donner lieu à de sympathiques activités en famille ou à l’école, la forme laisse à désirer.

Représentation de Dame Carcas sur Voki

En effet, Dame Carcas est ici représentée par un Voki, une application en ligne permettant de donner une voix à un dessin vectoriel. Si le dessin est plutôt mignon et enfantin, la voix, très robotique, est assez rébarbative. Or, comme l’activité s’adresse en particulier à un public jeune, ce défaut peut assez rapidement amener un désintérêt de la part de enfants. Si ceci peut-être pallié par un.e animateur.trice d’activité énergique, sachant garder l’intérêt des plus jeunes, c’est quand même plutôt dommage de présenter ce personnage légendaire dans une forme aussi ennuyeuse. De plus, la révélation finale devient ainsi particulièrement brutale, notamment les phrases « mon époux a été tué », ou encore « voici la fin de mon histoire, mais elle est fausse ».

Photographie tirée de la page Facebook des Echansons du Carcasses, une association médiéviste proche de Carcassonne.

Outre la voix déroutante de Dame Carcas, les autres aspects dommageables ici sont les vidéos tutoriels qui, comme ce personnage, manquent de dynamisme. Si cela est compréhensible pour le tutoriel d’origami d’une lettre, ça l’est moins pour l’utilisation du calame. En effet, la personne qui nous montre les exercices semble le faire sans aucune envie, et reste assez passive pendant la vidéo, en particulier pendant l’introduction où elle est filmée de face, avec une voix off.

Encore une fois, ces éléments sont particulièrement dommageable car l’activité s’adresse à des enfants. Quand on sait que l’interface informatique peut avoir tendance à aseptiser les émotions, il est d’autant plus crucial d’insuffler du dynamisme dans l’activité proposée. Ici, cela aurait pu être possible avec des vidéos d’une interprète en costume d’époque dans le rôle de Dame Carcas, par exemple.

Mais un fond intéressant

Buste de Dame Carcas à la Cité (tiré de la dernière page de Mission Carcas)

Cela étant, ces bémols au niveau de la forme n’enlèvent rien au fond, qui est surtout une activité pédagogique plutôt intéressante. En plus de créer soi-même des outils d’époque et d’apprendre à s’en servir, les enfants voient l’une des légendes fondatrices de la Cité de Carcassonne. Ces tutoriels peuvent même servir à d’autres activités touchant au haut Moyen-Âge, ou au médiéval fantastique.

De plus, une explication finale est donnée après la révélation de Dame Carcas sur son histoire. Nous avons donc ainsi droit à la définition d’infox, en l’occurence fake news, ainsi qu’à un texte explicatif sur l’histoire de la Cité de Carcassonne et de la légende de Dame Carcas. Un indice permettant de savoir que cette mission était fausse, est révélé ici : l’utilisation de l’écriture gothique. Celle-ci est en effet apparue au XIIIe siècle dans le Sud de la France, donc bien après l’époque dans laquelle se déroule la légende.

Ayant grandi à Carcassonne, et découvert très tard que cette légende était fausse, je ne peux que complimenter les médiateurs et autres professionnels des instances culturelles d’aujourd’hui, qui brisent le mythe en précisant que ce n’est qu’une histoire inventée au XVIe siècle.

Le fond de cette activité est donc travaillé, et le texte suffisemment simplifié pour être compréhensible par des enfants. Ce fait nous amène donc à penser que le problème de forme ne vient pas forcément d’un manque de volonté de la part des équipes des Archives Départementales de l’Aude, mais du financement de ces dernières. Cela nous donne donc à voir le désintérêt de la municipalité autour de la médiation de son patrimoine historique. Or, le tourisme à Carcassonne permet de créer divers services de transports, de restaurations et de commerces, qui sont majoritaires dans la ville (73.2% en 2017 selon l’INSEE), faisant donc du tourisme l’un des revenus principaux de la commune. Ainsi, une révision des financements pour une meilleure valorisation de patrimoine serait sans aucun doute plus que bienvenue.