Merci de ne pas toucher, une web-série qui déconstruit et décomplexe l’Histoire de l’Art
Une vision féministe et inclusive de grands chef d’oeuvres de la peinture : bye bye le male gaze
« Merci de ne pas toucher, relecture sensuelle et subversive de toiles de maîtres », voilà ce que l’on peut lire sur la page des productions numériques de la chaîne ARTE. Hortense Belhôte, historienne de l’art et performeuse propose avec cette web-série une vision résolument inédite des grands chefs d’œuvre la peinture occidentale. Attention ! Toutes vos certitudes vont tomber, êtes-vous prêt.e.s ?
« C’est dans une laverie ou sur un terrain de foot qu’Hortense, prof d’histoire de l’art atypique, explique quelques-uns des « chefs d’œuvre » de la peinture classique européenne et en dévoile la puissance érotique. Les « grands maîtres » n’ont qu’à bien se tenir car ici on touche à tout, le quotidien devient un musée vivant et le passé s’incarne dans les corps d’aujourd’hui » peut-on lire sur Arte.TV.
Pour avoir fait des études d’Histoire de l’Art, je croyais en connaître un rayon sur les peintures exposées au Louvre. ou dans les grands musées du monde. Mais voilà qu’Hortense Belhôte vient faire vaciller avec son humour fin et cru les interprétations que l’on m’avait enseignées pourtant comme des piliers intangibles. Cette web-série m’a fait me questionner sur les plumes de l’Histoire de l’Art. Qui écrit l’Histoire ? La réponse est dans la plupart des cas : des hommes. J’avais appris d’un professeur (homme) que l’Olympia de Manet était assurément une prostituée qui posait pour le peintre dans une attitude lascive qui rappelle une Vénus peinte par le peintre italien classique Titien. Mais loin de représenter une déesse, Manet assume la représentation d’une femme nue de son temps, avec ses bijoux, sa coiffure, ses petites pantoufles. Un corps de prostitué peint sur un tableau de deux mètres par un mètre trente ? Un scandale pour la bourgeoisie de l’époque !
Hortense Belhôte nous livre une toute autre version de l’histoire, que l’on pourrait qualifiée de féministe ou d’inclusive dans le sens où elle s’affranchit du male gaze (ce regard masculin qui voit dans le corps de la femme un objet de plaisir et de désir), et propose une interprétation bien plus réaliste, étayée par des faits de la vie de l’artiste et des modèles. Jugez plutôt : voir l’épisode « Gazons« .
Chaque tableau est analysé en mettant l’accent sur la sensualité, la corporéité des personnages. Tout les corps, toutes les identités sexuelles y sont mises en scène. Chaque épisode dévoile ce qui déjà là, mais que pourtant l’Histoire de l’Art occidentale a tu ou peu mis en avant, à savoir un rapport au corps décomplexé avec des corps dans leur nudité et leur diversité, des poses suggestives qui dévoile les fantasmes des commanditaires de ces toiles, qu’ils soient riches collectionneurs ou princes, mais aussi occupants du Vatican. L’épisode « Vitamine Q – le péché originel » revient sur la sensualité des corps puissants des personnages peints sur le plafond de la Chapelle Sixtine, inaugurée par le Pape Jules II en 1512.
Une mise en scène drôle mais toujours pertinente
L’Histoire de l’Art : une discipline ringarde et poussiéreuse ? Mais alors là pas du tout ! Hortense Belhôte use de son humour fin et cru à la fois, qui saura toucher un public pas forcément habitué de l’histoire de l’art. Contrairement à ce que je pensais à première vue, le public cible n’est pas forcément les jeunes, adolescents ou étudiants. Au contraire, elle s’adresse directement, ou par des clins d’œil popculture à la génération Y (nés entre les années 1980 et 1990).
L’épisode « Bifidus Passif – La laitière – Johannes Veermer » débute avec une référence culture pub de 1998, dont seul les trentenaires d’aujourd’hui auront saisi le potentiel humoristique et sensuel. Il s’agit d’une publicité pour les produits laitiers au ton très érotique !
On dirait bien que du XVIIème siècle hollandais à aujourd’hui, les yahourts ça fait toujours le même effet… On est jamais rassasiés.
Extrait de l’épisode « Bifidus passif – La Laitière – Johannes Veermer »
Au niveau scénographique, la production utilise un procédé efficace et séduisant : la confrontation entre une mise en scène contemporaine qui actualise un propos historique. Le résultat est optimal : un contenu où l’on peut facilement s’identifier à des histoires et des personnages pourtant vieux de plusieurs siècles.
Là encore les références à la popculture nous aident ! Comme dans l’épisode « Young Man » où Hortense Belhôte nous introduit au Quatrocento italien, et ses peintres fameux MichelAngelo, Leonardo, Donatello… tout en arborant le teeshirt des Tortues Ninja, dessin animé diffusé de 1987 à 2017 à la télévision, mettant en scène des personnages homonymes aux grands artistes italiens de la Renaissance !
Un format de dix épisodes de quatre minutes, à savourer sans modération sur ARTE.TV