Pendant le confinement, un regard aux plus isolées que nous
L’intimité et la lutte des Yanomami à travers les lentilles de Claudia Andujar gagnent de l’espace en ligne à la Fondation Cartier
Victoria Franco
Les Yanomami n’étaient pas à l’aise devant les caméras. Il y avait toujours un certain soupçon que la photographie leur prendrait quelque chose de plus qu’un simple portrait. Pour ces peuples autochtones de l’Amazonie brésilienne, lorsque l’image de l’un de leurs morts reste parmi les vivants, l’esprit de celui qui est mort peut avoir du mal à atteindre le ciel et leurs proches, qui sont restés sur cette terre, peuvent finir par mourir de tristesse. Mais depuis 1971, les Yanomami ont fait une exception à cette tradition et ils ont entamé une relation avec Claudia Andujar qui allait bien au-delà de la photographie. Et c’est cette histoire, d’un engagement artistique, personnel et politique entre la photographe suisse et ces indigènes, que nous présente l’exposition La Lutte Yanomami, animée par la Fondation Cartier.
Pour une survivante de l’holocauste qui a émigré au Brésil et un peuple autochtone qui a survécu aux innombrables impacts de l’arrivée des « blancs » sur leur territoire, s’adapter et résister à de nouveaux défis étaient la clé de leur vie. L’exposition consacrée à leurs trajectoires semble aussi demander la même clé: prévue pour se dérouler sans interruption du 30 janvier au 10 mai cette année à Paris, elle a été affectée par l’avancée de la pandémie de covid-19. Mais en plus d’avoir été rouverte du 16 juin au 13 septembre, son contenu a été adapté au numérique par la Fondation Cartier afin qu’il puisse continuer à être visité (et revisité librement) par le public, même avec une collection réduite.
Avec des photos, audios et vidéos, le site propose une expérience narrative divisée en trois chapitres: le premier raconte le mouvement d’Andujar de l’Europe au Brésil; le second présente sa relation avec les Yanomami et le dernier la consacre, montrant l’engagement de la photographe dans la défense des droits territoriaux autochtones. Tout le contenu textuel peut être appréhendé en quatre langues: le français, l’anglais, le portugais et l’italien. Les audios ont été doublés et les vidéos ont parfois été remplacées par des équivalents dans chaque langue. En plus de l’exposition virtuelle, dans l’onglet « à propos » la plateforme comprend une coupure de diverses actualités et des articles récemment publiés sur Andujar et les Yanomami.
La plateforme suit le style timeline et les premières images affichées en noir et blanc révèlent déjà le penchant immersif et anthropologique de la photographe. Mais c’est à partir du chapitre 2 que l’expérience visuelle des spectateurs change radicalement: les couleurs infrarouges, les flous et les jeux d’ombre et de lumière introduisent une atmosphère onirique. Il est clair que la rencontre avec les Yanomami a donné naissance à une nouvelle Claudia, comme le montrent ses photographies. À ce stade, les techniques expérimentales de la photographe impliquent de la gelée de pétrole, des lampes à huile et des filtres placés devant un objectif grand angle, avec un clic déclenché à une vitesse d’obturation longue. La tentative était d’évoquer visuellement l’expérience chamanique du peuple Yanomami.
La fuite du style documentaire lors de la photographie exige davantage du public lorsqu’il pose les yeux sur l’œuvre d’Andujar. Au vu du manque de clarté, du chevauchement des éléments et d’une palette de couleurs qui diffère des représentations du monde matériel, la taille dans laquelle les images sont disposées sur la plateforme semble insuffisante et l’action de zoomer sur chacune d’eux, pour essayer de retenir un peu plus de la scène, devient impératif pour le spectateur. L’avantage c’est que le contenu est disponible pratiquement sans date d’expiration et peut être revisité à tout moment. Peu importe que tout puisse être complètement parcouru ou non en 20 minutes. Le caractère procédural de la relation qui a guidé Andujar vers l’intimité de ces indigènes est également exigé du spectateur. Si celui-ci recherche une expérience immersive dans l’exposition, il lui faudrait donc rester un petit peu plus chez les Yanomami.